Moove, en route pour le monde

Moove, en route pour le monde

La fintech Moove est spécialisée dans le financement des voitures utilisées par les chauffeurs de plateformes comme Uber. Ladi Delano, un des cofondateurs, évoque les réels problèmes sociétaux que le modèle d’affaires qu’ils ont monté voulait résoudre et dévoile leurs objectifs ambitieux pour l’avenir.

Quand ils se sont rencontrés à Londres, Ladi Delano et Jide Odunsi sont immédiatement devenus amis. Ils étaient alors étudiants: le premier à la SOAS et le second à la London School of Economics. Ce qui les a rapprochés, c’est leur expérience d’enfants d’immigrés. Des immigrés nigérians plus précisément, qui se sont installés au Royaume-Uni avant de fonder leur famille. «Dans des cas comme ça, les parents ont une relation très ambiguë avec leur pays d’origine, raconte Ladi Delano. Un amour profond d’un côté, mais le souvenir douloureux des raisons qui les ont poussés à partir de l’autre. Quand on était petits, Jide et moi, on s’est souvent demandé comment un endroit que nos parents pouvaient autant aimer pouvait mal fonctionner au point qu’ils aient dû partir.»

Cette curiosité ne les a jamais quittés. C’est même l’une des raisons pour lesquelles, master, MBA et expérience professionnelle dans la finance et le conseil en poche, ils ont décidé de s’allier pour créer une entreprise. «Notre idée, c’était de résoudre une partie des problèmes que nos parents avaient rencontrés au Nigeria, explique Ladi Delano depuis son bureau de Dubaï. Ce dont on rêve, c’est que les gens n’aient plus envie d’aller chercher mieux ailleurs.»

Marqué par le travail de Michael Porter, de la Harvard Business School, et de Mark Kramer, auteur de Creating Shared Value (un article sur la création de valeur partagée entre l’économie et la société), le duo a déjà créé quatre entreprises, à chaque fois avec le désir de s’attaquer à des questions sociétales. «On s’est juré de repérer les véritables problèmes sociétaux et d’y apporter des solutions entrepreneuriales», se souvient Ladi Delano.

On s’est juré de repérer les véritables problèmes sociétaux et d’y apporter des solutions entrepreneuriales.

Et c’est exactement ce que fait Express Pharmacy, qui est aujourd’hui la cinquième chaîne de pharmacies du Nigeria: Ladi Delano et Jide Odunsi avaient constaté que de très nombreuses officines vendaient des médicaments contrefaits ou périmés et que les prix des médicaments variaient d’un jour à l’autre. Dès le départ, ils ont décidé de s’adresser aux consommateurs pauvres de Lagos et d’être «les moins chers du marché, avec des prix stables et des produits authentiques», explique Ladi Delano.

En 2020, les deux hommes ont lancé un projet plus ambitieux encore avec la fintech Moove. Une fois encore, l’idée est partie d’un défi sociétal majeur: le cumul du chômage, de l’exclusion financière et de l’absence d’autonomisation financière. Basée à Dubaï, Moove propose des financements à ceux que l’entreprise appelle des «entrepreneurs en mobilité» (en règle générale, des chauffeurs Uber) pour qu’ils puissent acheter leur véhicule professionnel et le financer en travaillant. «Notre logique, c’est qu’en Afrique, un véhicule, ce n’est pas un luxe: c’est un moyen de gagner sa vie. On peut créer une entreprise si on a accès à une voiture», martèle Ladi Delano.

Pour relever ce défi, Moove a dû s’attaquer à un certain nombre de problèmes. Le Nigeria fait par exemple partie des pays où la mortalité routière est la plus élevée au monde, en partie parce que les droits de douane sont inférieurs sur les épaves que sur les autres véhicules. Beaucoup de voitures d’occasion ont donc subi des accidents graves: réparées à la va-vite, elles sont vendues pour une bouchée de pain au Nigeria. D’autres ne respectent pas les normes de sécurité ou d’émissions. «Ce sont des corbillards ambulants, soupire Ladi Delano. Donc on s’est dit que si on pouvait apporter des financements, on pourrait faire en sorte que les normes soient respectées et que les gens qui achètent des voitures puissent gagner leur vie avec.»

Rares sont les banques qui acceptent de prêter dans ces conditions parce qu’elles ont peur que les «entrepreneurs en mobilité» ne réussissent pas à payer leur dette. La solution, pour Moove, c’est la mise en place d’un financement corrélé aux revenus. L’entreprise a négocié avec les places de marché partenaires, dont Uber, pour qu’elles lui communiquent les performances des véhicules, le nombre de courses réalisées et le chiffre d’affaires engrangé. Et aussi le fait d’être payées d’abord: «A chaque fois que le client règle une course sur Uber, nous sommes payés en premier. La somme vient en déduction de ce que le chauffeur nous doit, et lui touche ce qui reste», explique Ladi Delano. «On est tout en amont de la chaîne.».

 

Le dispositif élimine le problème des défauts de paiement, et c’est ce qui distingue Moove. «Les banques n’aiment de toute façon pas ce genre de clients et elles aiment encore moins cette idée de payer par petits morceaux, elles se disent qu’elles ne reverront jamais leur argent.» Mais Moove leur prouve qu’elles ont tort. «Ce n’est pas parce que vous ne gagnez pas beaucoup d’argent que vous n’êtes pas sérieux, résume Ladi Delano. Si vous vous intéressez à la capacité de paiement en supprimant le risque de défaut, c’est un tout nouveau marché qui s’offre à vous, un marché peuplé de clients solvables, voire très solvables.»

Trois ans après sa création, Moove avance à grands pas. Elle s’est développée en Afrique, est implantée dans quatre villes indiennes, propose ses services aux Emirats Arabes Unis et au Royaume-Uni et, depuis peu, s’attaque au marché thaïlandais. En août de cette année, elle a levé 76 millions de dollars auprès d’un groupe d’investisseurs mené par Mubadala, le fonds souverain d’Abou Dhabi. BlackRock, le géant de la gestion d’actifs, en faisait partie. Le tour de table a valorisé Moove à 550 millions de dollars. Selon Ladi Delano, l’opération doit servir à deux choses: aider l’entreprise à devenir rentable au premier semestre 2024 et lui permettre de poursuivre son expansion.

Notre priorité absolue, c’est d’avoir une activité qui résiste à l’épreuve du temps et aux tempêtes.

Il explique que Moove veut se développer dans plusieurs régions et sur plusieurs marchés en même temps dans les deux prochaines années. Après la Thaïlande, l’entreprise veut conquérir le reste de l’Asie du Sud-Est. L’Inde est aussi un marché important pour elle. Elle n’est, pour l’heure, présente que dans une seule ville européenne et une seule au Moyen-Orient, mais elle ne compte pas en rester là. «A terme, on se lancera aussi en Amérique latine et en Amérique du Nord», affirme-t-il. Ces ambitions soulèvent une question: le modèle de Moove peut-il fonctionner en dehors des pays émergents? «Bien souvent, dans les pays développés, les entrepreneurs en mobilité sont des immigrés, pointe Ladi Delano. Si vous regardez les chiffres, sur la question de l’accès au système financier ou à la dette, le client est globalement le même, c’est le contexte qui change.»

Sur la question de la rentabilité, sans surprise, Ladi Delano ne veut pas entrer dans le détail. Mais son associé et lui espèrent que les choses vont aller dans le bon sens grâce à une évolution vers les services financiers. Cette année, Moove a ajouté un wallet numérique à son application, «déjà disponible sur certains marchés et en cours de déploiement dans le reste du monde. En partenariat avec des banques traditionnelles, on propose désormais des services bancaires: cartes de paiement, micro-crédits, découverts, avances sur salaire… On veut faire en sorte que cette activité devienne une source de revenus importante pour l’entreprise et on attend une forte accélération de cette ligne de métier en 2024.»

Mais l’aventure risque de se compliquer. La levée de fonds de cet été est considérée comme l’un des rares succès d’un marché du venture capital qui souffre de l’inflation, de la remontée des taux d’intérêt, du regain de tensions au Moyen-Orient et de la guerre en Ukraine. «Dans le contexte actuel, il y a beaucoup de risques et beaucoup d’incertitudes», déplore Ladi Delano. «Notre priorité absolue, c’est d’avoir une activité qui résiste à l’épreuve du temps et aux tempêtes. Etre rentable, c’est ce qui nous permettra de faire face en cas de gros temps. Notre boulot, c’est de tenir le cap et de faire en sorte que le bateau arrive à bon port d’ici deux ans.»

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